‘’Valeur Santé et Données de Santé »

‘Impact – santé’ et ‘ressource -santé’ des activités économiques et des entreprises :pour une meilleure prise en compte de la valeur fondamentale ‘santé citoyenne’

21 mars 2020 par Lina Gentile-Barouhiel et Anne-Marie de Vaivre

En cette année 2020, l’économie mondiale et l’ensemble des entreprises, activités et chaines de valeur, sont atterrées, au sens propre, par une pandémie, atteinte sanitaire humaine d’ampleur aujourd’hui incommensurable dans ses impacts, humains, sociaux, sociétaux, économiques.

Démontrant à l’envi que santé économique, santé publique, santé individuelle, santé au travail .. sont ‘inexorablement’ et inextricablement liées.

A côté de dizaines, voire de centaines de milliers de vies humaines perdues, demain peut-être davantage encore,  les coûts économiques prévisibles immédiats de la crise sanitaire en cours ont été chiffrés par nos gouvernants en milliards, en trillions –  mais peut-on seulement les prévoir en ce début de crise ?..

Depuis 2006, le Cercle Entreprises et Santé lit et lie ces préoccupations en ‘santé intégrée’, à l’aune internationale de l’évolution et de l’avenir de la relation au travail,  et des impacts réciproques Santé – Travail – Environnement, pour redonner à la santé toute sa place dans la création de valeur de l’entreprise.

Pourtant, les tendances majoritaires des dernières décennies étaient à enclaver la Santé au Travail, perçue comme une contrainte réglementaire voire  judiciaire dans un monde du travail de plus en plus tertiarisé, aboutissant à diluer la nécessité de la prévention, pourtant mieux active antérieurement dans le monde industriel.

Avec la crise pandémique que nous connaissons, la réalité de la santé et du risque sanitaire s’est brusquement imposée  pour tout un chacun, citoyen, travailleur, dirigeant, gouvernant : à tous au quotidien, par confinement et révolution de modes de vie,  et aux dirigeants dans leurs choix, en éthique comme en décisions organisationnelles et opérationnelles, voire vitales, pour la vie de leurs salariés, comme de leur entreprise.  A tous comme valeur précieuse et unique, fondatrice de toute activité humaine, sociale, économique  et professionnelle.

  • Et si la qualité de santé, la ressource-santé et l’impact santé étaient (enfin) perçus comme des facteurs primordiaux dans tout fonctionnement socio-économique, dans toute performance d’entreprise ou organisation, publique ou privée ? Une nouvelle conscience collective, individuelle, institutionnelle est en train de naître en ce sens.
  • Et si, pour mieux maîtriser l’impact comme pour mieux maîtriser la ressource essentielle de ce que l’on appelle le ‘capital humain’, l’on profitait de cette crise pour inciter les organisations/ macro (gouvernements) – méso (secteurs, territoires) – micro (entités professionnelles)…/ à mieux et continûment prendre en compte, suivre, tracer l’état de santé de nos concitoyens, – leur vulnérabilité et leur résilience-, dans l’environnement, et dans les conditions de travail qui sont les leurs, en aidant et incitant les personnes à connaître elles-mêmes, suivre et tracer leur  état de santé , pour individuellement, et collectivement, mieux prévenir et faire face aux crises et accidents possibles ?

L’on se rend compte aujourd’hui que des data de santé accessibles et traçables sont indispensables, – pour anticiper et gérer les situations de crise et d’urgence, mais aussi, en vitesse de croisière, pour la prévention et le suivi individuel efficace des personnes, comme pour les études épidémiologiques en grandeur réelle nécessaires pour éclairer les politiques de santé publique, de santé globale.

Partout dans le monde, les dispositifs sont mis en place, sont en train de se structurer, sur la base aussi de nouveaux outils de suivi IT – IA.

Qu’en est-il en France ? De quels outils dispose-ton pour analyser et suivre la « ressource-impact santé », en dehors des études scientifiques médicales et épidémiologiques par cohortes, – par définition sur échantillons ?

  • Côté ‘santé civile’,  le DMP, le Dossier Médical Partagé, – instauré théoriquement depuis des années et  relancé fin 2018  ’ –,  peine à s’inscrire dans la réalité : 9 millions de dossiers ouverts à fin février 2020 ..pour 67 millions de citoyens ;  avec combien de dossiers réellement opérationnels ?  Le DMP  parait  pourtant indispensable, à encourager et systématiser, pour précisément tracer l’évolution de l’état de santé des personnes, et en tirer, au niveau de la personne, comme en épidémiologie, les enseignements nécessaires. Un ‘dossier pharmaceutique’  existe bien déjà .. pour 40 millions de personnes, – récemment encouragé par le rapport 2020 de la Cour des Comptes, mais c’est un dossier ‘fermé’, accessible aux seuls professionnels et instances de la pharmacie,  institutions de contrôle, et aux industriels de la pharmacie.
  • Côté ‘hospitalier’ , par lequel risque malheureusement de passer une foultitude de nos concitoyens pris dans cette pandémie, les dossiers des patients hospitalisés sont de plus en plus interopérables entre établissements et autres dossiers spécialisés (imageries et analyses médicales).  Pourtant, même après la loi Kouchner (2002), les informations et data de ces dossiers ne sont pas aisément accessibles aux citoyens .. et pas du tout aux médecins du travail.
  • Côté ‘santé travail’, existe légalement pour chaque salarié, depuis 1970, un DMST, Dossier Médical en Santé Travail, pour la visite médicale d’embauche, les aptitudes-inaptitudes, les visites médicales ou infirmières périodiques tout au long de la vie professionnelle : peu ou prou doivent exister légalement des DMST pour les 24 millions de travailleurs : 18 millions pour les salariés ‘de droit commun’, – suivis pour 16,5  millions par les Services Inter-entreprises de santé au travail, pour un peu plus d’un million par les Services Autonomes des plus grandes entreprises – ; et  pour 5 à 6 millions par les services de santé au travail des fonctions publiques .. avec un grand vide, souvent, pour les travailleurs indépendants dont la population est croissante.

Mais où en est-on exactement ?  A-t-on jusqu’à présent écouté et aidé suffisamment les médecins et professionnels de ces services de santé au travail pour rendre ces dossiers effectifs, utiles au-delà des certificats d’aptitude et inaptitude ? Des bilans, ou des points d’étape sectoriels seraient bien nécessaires. 

En  vision santé ‘citoyenne’, santé-globale des personnes, dont les gouvernants aujourd’hui  et autorités sanitaires comme tout un chacun touchent du doigt le côté indispensable, les efforts de coordination des analyses de risques-santé et des diagnostics-santé sont à intensifier, en intégrant mieux les éclairages, les apports et les données de santé-travail :  l’état de santé des personnes, des travailleurs de tous statuts en tant que personnes,  mérite bien  un vrai suivi,  global et coordonné par tous professionnels de santé, médecins et praticiens de ville, médecins et praticiens hospitaliers et spécialisés,  médecins et infirmiers du travail.

Et si la voie de l’avenir, pour préserver au mieux cette « ressource-impact » qu’est la santé globale, essentielle pour la société et les sociétés, était celle d’une vision citoyenne et intégrée des approches en santé,  et d’une vraie coordination entre acteurs ?  médecine/ santé  ‘de ville’  et médecine / santé – travail,  médecine santé hospitalière et médecine-santé de laboratoires .., en utilisant, aussi de façon intégrée, les ressources des traitements en IA des données massives en santé permises par cette coordination.

C’est à la fois un dialogue opérationnel qu’il convient aujourd’hui de légitimer et de pratiquer, entre professionnels de santé au travail, et professionnels de santé ‘civile’, hospitalière, et environnementaleet c’est une interopérabilité des sources de données, DMP, DMST … qu’il faudrait aussi faciliter par la mise en place d’outils numériques partagés et élaborés  autour d’un cahier des charges coconstruit en santé globale.

Au plan européen,  neuf programmes de recherche sont en train de se mettre en place autour du concept d’exposome – la ‘somme des expositions à risques de santé’ qu’aura pu vivre un individu au cours de son existence, expositions à risques environnementaux, risques professionnels .. qui  vont définir son profil personnel de vulnérabilité et de résilience, à côté du génome, son profil génétique.  Au niveau de la recherche, les visions intégrées de la santé progressent : il serait bien qu’il en soit de même au plus tôt,  sur le terrain, pour la santé quotidienne des personnes,  et pour la santé ‘citoyenne’ globale. 

En bout de chaine du traitement et de la valorisation-recherche et  valorisation-guidage des  données massives de santé, le Health Data Hub France récemment créé à fin 2019 devra permettre cette coordination sécurisée des data. 

En amont, c’est une vision globale, systémique et citoyenne de la santé, et une vraie coordination des données, des pratiques et des acteurs de santé qu’il est nécessaire de faciliter et d’organiser :  les institutions, à la base comme au sommet, ont leur rôle à jouer,  et aussi, au sein des entreprises et organisations, les partenaires sociaux, employeurs comme organisations syndicales.     

21 mars 2020

Anne-Marie de Vaivre, Co-Fondatrice du Cercle Entreprises et Santé,
VP IAS, Partner TITANE ITCWS

Dr Lina Gentile-Barouhiel, spécialiste en Santé au travail,
Médecin du Travail secteur Distribution Presse et secteur hospitalier ;
souscripteur des commissions nationales Affaires sociales Pénibilité, RPS.
Abonné du Cercle E & S.


Article dans le n°27 de
Question(s) de Management 
(mai 2020 – accessible sur le site de cairn info)
(editions EMS)